SEMAINE 9 – 11 AU 17 DECEMBRE – HISTOIRES DE FAMILLE ET AIR DE L’OUEST

LA SURPRISE DE DECEMBRE est la visite de ma fille Anaïs. Bénéficiant d’un peu de vacances, elle se décide en quelques jours à venir me rejoindre pour une semaine au Cameroun ! Ce sera la semaine tourisme et visite d’orphelinat à l’Ouest, de quoi s’oxygéner en quittant Yaoundé pour les hauts plateaux, le calme, la relative fraîcheur.

Anaïs est sage-femme récemment diplômée. Son travail de bachelor de la Haute Ecole Santé de Genève a été salué par ses formatrices, et lors de discussions avec les chefs de service des 2 hôpitaux où Nanaboco intervient, j’ai eu l’occasion de le transmettre car il donne des pistes de réponse et des références sur l’influence du SOC – Sense of Coherence – des femmes sur les issues obstétricales. Le SOC est un outil qui ne s’applique pas qu’en obstétrique mais dans tous les domaines de la santé globale. Une chef de service me parlait d’un récent colloque où des hommes – des soignants – déclaraient que pour ne pas perdre la sensation de « chaleur » de leur épouse, ils préféraient qu’elles subissent une césarienne afin de ne pas risquer des dégâts au niveau vaginal, et militaient donc pour un recours généralisé aux césariennes, négligeant les facteurs de risques et enjeux liés, négligeant également le libre-arbitre des femmes. Cette chef de service s’en offusquait, on peut le comprendre. Le sujet des maltraitances ou violences obstétricales ou envers toutes sortes de patients n’est pas réservé au Cameroun, il existe également en Suisse et ailleurs. Ce n’est pas le lieu d’un débat sur ce sujet spécifique, mais il n’est pas sans lien avec ce que des clowns peuvent apporter tant aux patients hospitalisés qu’à la philosophie de soins.

Bref, en quelques jours Anaïs a obtenu passeport, vaccins, visa, et fait ses courses pour m’apporter de nouveaux nez de clowns, des bulles, des peluches, des harmonicas, etc, et la voilà qui débarque à Nsimalen, aéroport de Yaoundé.

Voir le Cameroun avec ses yeux, elle qui n’a vu de l’Afrique que les plages de Tunisie, a été une expérience joyeuse faite de complicité et de rires. Ce qui depuis le temps me parait naturel et anodin a retrouvé tout son exotisme en sa compagnie.

Elle est arrivée la semaine où nous avions prévu d’aller dans la Province de l’Ouest Cameroun, là où se trouve le village d’origine de Prince Patrice, là où il a passé une grande partie de son enfance, chez sa grand-mère, et là où se trouve l’orphelinat Maman Fanny auprès duquel Nanaboco intervient depuis plus de 18 mois.

Sur la route de l’Ouest
Brochette de chenilles ! miam ? j’ai goûté, pas mauvais mais consistance un peu étrange et je crois que la tête a croucé sous mes dents…

250 kilomètres seulement séparent Yaoundé, capitale et Province du Centre, de Bangangte, Chef lieu du Département du Ndé, et Chefferie d’où est issu Prince Patrice.    L’état des routes allonge considérablement ce trajet qui serait fait en 2 ou 3 heures en Suisse. Pauses comprises, le trajet a duré pas loin de 6 heures. Le temps de savourer le paysage pour les passagers. Pour moi, qui conduisait, le voyage se passe concentrée à l’extrême sur la route, pour slalomer entre les trous, distinguer et ralentir à l’approche des rudes dos d’âne placés pour ralentir le trafic.

Anaïs au Village

Bangangte est à environ 1300 mètres d’altitude, environ 30’000 habitants répartis sur 800 kilomètres carrés. La ville la plus propre du Cameroun, primée également au niveau africain, la propreté des rues est devenue sont image de marque. D’autres difficultés persistent, comme le chômage des jeunes, les problèmes de distribution d’eau également, mais en touriste il fait bon vivre sur ces collines. Au vu de l’étendue du territoire, et même si la densité de population est visible car comme en Suisse on ne peut pas faire 5 kilomètres sans voir d’habitations, le pays Bamileke est bien plus reposant pour l’oeil et pour les oreilles que la capitale encombrée.

Vue depuis l’hôtel à Bangangte

La première visite est pour la grand-mère de la famille, qui a près de 100 ans – bien qu’elle refuse son âge et dise qu’elle n’est pas si vieille.

Prince Patrice et sa grand-mère Magni Kouayim

Elle nous reçoit avec un plaisir évident, et accueille Anaïs avec beaucoup  de joie. Au Cameroun, recevoir une visite, une personne qui est venue de loin pour nous voir, est un honneur qui touche les gens.

Le mercredi, nous partons pour Bafoussam, environ 45 kilomètres de mauvaise route, là où résident nos petits amis de l’orphelinat Maman Fanny et Alain Serge Dzotap, l’écrivain jeunesse qui leur donne au nom de Nanaboco des ateliers d’écriture, poésie et lecture. Alain Serge fait un excellent travail auprès de ces enfants. Il a su tisser des liens, il est le tonton bienveillant qui leur manque.

Les enfants l’accueillent à bras ouvert, et se jettent dans nos bras, car nous sommes déjà venus en novembre.

coordonnées de l’orphelinat

J’avais laissé à un adolescent un jeu de Mémory vierge, en lui indiquant qu’il devait dessiner les cartes par paires. Il est fier de me montrer son travail, et comme personne ne sait jouer au Mémory, nous nous installons au sol pour une première partie.

première initiation au mémory

Les enfants me rappellent les contes que je leur ai raconté la dernière fois, il fredonnent les chansons qui les accompagnaient, aussi je raconte encore, cette fois avec la collaboration de Prince Patrice pour les chants. Joli moment !

Plus tard, Prince Patrice projette pour les plus grands adolescents des vidéos montrant les difficultés de la route de l’Europe à travers le Sahara et la Méditerranée. C’est la mission qu’il s’est donnée au Cameroun, diffuser les informations liées aux dangers de cette aventure souvent mortelle, afin que quiconque décide de s’en aller malgré tout ne puisse pas dire qu’il ne savait pas à quel risque il s’exposait. Il a déjà projeté à Yaoundé au carrefour d’un quartier, à Bangangte près de chez sa grand-mère, et en chaque lieu où il le peut, suscitant le débat parmi les jeunes hommes présents. Chez Maman Fanny, Alain Serge nous confie qu’il a discuté durant des mois avec un grand adolescent pour le dissuader de prendre cette route. L’adolescent y a renoncé, et à la vue des souffrances et des risques mortels de cette route sur les vidéos projetées, il déclare qu’il est définitivement convaincu qu’il vaut mieux pour lui rester au Cameroun manger son macabo que de prendre cette route.

 

Touriste à la Fondation Gacha, Bangoulap. Reconstitution d’habitats traditionnels camerounais, ici case du Grand Nord.

Jeudi et vendredi seront touristiques, à Bangoulap, voisine de Bangangte, où se trouve la Fondation Gacha, au sommet d’une colline d’où la vue est magnifique même si mal rendue par l’appareil photo.

Le vendredi, nous partons pour Babouncheu Ngaleu, village à 11 km de route non goudronnée et incroyablement poussiéreuse de Bafang, Chef lieu du Haut Nkam. Une erreur nous conduit trop loin sur cette route, à la recherche d’une autre chefferie, et nous voici roulant dans une interminable descente caillouteuse et poussiéreuse, dans une forêt de plus en plus touffue. Finalement nous rebroussons chemin, comprenant que nous nous sommes trompés et surtout que la voiture ne pourra pas remonter cette pente si nous persistons dans notre expédition. L’occasion pour moi de sortir quelques minutes de la voiture et de quitter des yeux le chemin difficile. Quelle magie dans cette forêt des origines ! quelle paix ! les papillons et libellules volettent autour de nous. Quel étrange sentiment aussi d’imaginer que singes, boas et pourquoi pas les dernières panthères de l’Ouest nous guettent à travers le feuillage épais et les arbres immenses qui cachent le ciel ! En robe légère et tongs, je ne suis pas du tout équipée pour une excursion dans la jungle ! Nous nous en allons dare dare, mais il m’en reste l’impression inoubliable d’être parvenue en un endroit magique. D’ailleurs, il se pourrait bien que nous ayons par inadvertance pénétré la forêt sacrée de cette chefferie perdue au fond d’un ravin. Notre expédition imprévue nous a fait manquer les danses traditionnelles auxquelles nous étions conviés d’assister. Dommage..

Statue Bamileke

La culture ancestrale et traditionnelle Bamileke, de la Province de l’Ouest Cameroun, est très riche, très vivace et fascinante, y compris sa spiritualité.

Il s’agit d’une constellation de petits royaumes très structurés, un réseau de chefferies souvent liées entre elles par leurs fondateurs, aux rituels encore très suivis.

Entrée typique de chefferie, ici celle de Babouncheu Ngaleu – Haut Nkam

 

Le dimanche 17 décembre, les clowns Nanaboco et le Père Noël sont attendus pour la fête de fin d’année de l’Association des Jeunes Cadres Dynamiques de Dakar. C’est l’un des clowns qui prendra le rôle du Père Noël et distribuera les cadeaux des enfants de ces cadres, représentants de la classe moyenne camerounaise que nous avons peu l’occasion de fréquenter. Nous sommes surtout en contact avec la classe très populaire voire démunie, et très occasionnellement très aisée. Les disparités sont énormes et frappantes, on peut payer une grande bière 600 CFA au quartier, et une petite bière 5’000 CFA dans les bars les plus sélects. Imaginez donc les disparités de revenus ! Entre 35’000 CFA et plusieurs millions par mois, de 1 à 100 au moins ! Les rutilantes 4×4 se faufilent dans la masse des véhicules qui ressemblent plus à des épaves qu’à des voitures.