SEMAINE 13 – 9 AU 14 JANVIER – HILTON ET AU REVOIR

VOICI ARRIVEE CETTE DERNIERE SEMAINE TANT REDOUTEE. COMMENT RALENTIR LE TEMPS, OU MIEUX ENCORE LE REMBOBINER ?

Il me reste encore quelques rendez-vous importants.

Mercredi 10 janvier, j’ai convoqué tous les clowns Nanaboco, nouveaux et anciens, pour une séance de travail artistique commun.

Ils se sont déjà croisés, mais comment mieux faire connaissance et créer un lien au cas où ils devront travailler ensemble que de jouer ensemble pendant quelques heures ?

 

Au programme, j’ai prévu un moment de travail sur la voix, pour les amener à mieux prendre conscience de leur voix chantée et voir comment améliorer – on peut toujours s’améliorer – leurs chansons de groupe. Et puis bien sûr des improvisations et encore des improvisations, le meilleur moyen de s’entraîner à créer. En improvisation on est plus facilement en lien avec ce qui est là, avec les personnes présentes, ce qui est le principe des clowns à l’hôpital, être présent, créer du lien, inviter à jouer, plus que de donner des routines trop rodées. Bien que les routines soient aussi utiles. Décidément, tout est possible, c’est juste question d’équilibre et de sensibilité.

C’est aussi l’occasion de dire au revoir à toute cette joyeuse équipe qui sera chargée de mener à bien la mission principale fixée par Nanaboco : apporter sourire, détente, bonne humeur aux enfants hospitalisés. Moment touchant, j’ai vu quelques-uns de ces clowns naître sous mes yeux. Mais j’ai confiance, je sais que s’ils ne sont pas absolument prêts, ils le sont suffisamment pour continuer à progresser. Ce qu’il leur faut c’est de la pratique.

Jeudi 11, j’ai rendez-vous au Hilton ! J’ai été invitée par la Présidente des Gourmettes, association d’épouses de diplomates et d’expatriés qui soutient les projets qui lui semblent valables. Nous leur avons soumis notre dossier par l’entremise de Madame Giordana Lazzeri, épouse de l’Ambassadeur de Suisse au Cameroun, il est temps qu’elles puissent mettre un visage sur le nom Nanaboco. Moment convivial et décalé pour moi : me retrouver au sommet du Hilton, terrasse panoramique, à manger des petits gâteaux est tellement loin du terrain où j’ai évolué durant ce séjour, plus près du sol et des réalités de la population démunie ou modeste du Cameroun. C’est aussi l’occasion de réaliser que plusieurs de ces femmes éprouvent bel et bien le sentiment d’être enfermées dans une bulle, dans le cercle des privilégiés, sans réel contact avec la population camerounaise et sa réalité.

Je remercie ces dames et surtout Madame Lazzeri pour leur accueil et leur attention, nous aurons prochainement des nouvelles de leurs délibérations au sujet de nos programmes.

L’après-midi, j’ai rendez-vous avec M.Secbe, notre référent au HGOPY, pour un bilan des activités déroulées durant mon séjour.

La question de la visite des clowns au service d’acupuncture fréquenté par des personnes âgées sera revue par lui avec le service.

Les jeux que j’avais apportés au début de mon séjour ont été utilisés lors d’un après-midi spécial pour les enfants qui ont participé à une campagne. Ce terme définit une campagne d’opérations chirurgicales souvent réalisées par des chirurgiens étrangers, suisses souvent, lors de leur mission. Ces enfants restent en général plusieurs semaines à l’hôpital après leur lourde opération. Berthe, l’infirmière qui s’est portée volontaire pour ces activités ludiques, a organisé ce moment de jeux, avec petites compétitions si j’ai bien compris. Cela se renouvellera lors d’autres campagnes chirurgicales. Bravo à Berthe pour son engagement en faveur de l’accompagnement des enfants, qui surcharge son emploi du temps.

M.Secbe se fait le porte-parole des chefs de service et de la Direction de l’hôpital pour confirmer que les prestations des clowns Nanaboco sont bienvenues, et que les soignants les ont intégrées dans leur pratique professionnelle. Quelque chose a changé dans l’hôpital et dans l’accompagnement de soins grâce aux clowns, nous en sommes évidemment ravis. M.Secbe a été notre premier contact dans cet hôpital et nous lui sommes reconnaissants d’avoir toujours été disponible pour Nanaboco.

Pendant ce temps, Alain Serge Dzotap a repris une série d’ateliers d’écriture, poésie et lecture à Bafoussam, avec les enfants de l’orphelinat Maman Fanny. C’est un programme qui me rend particulièrement heureuse, car Alain Serge apporte énormément  d’attention à ces enfants et grands adolescents, par son écoute et sa présence.
Nous avons eu l’occasion de faire un bilan également avec Junior Esseba, de l’association Théâtre en Folie, qui a collaboré avec Nanaboco depuis l’atelier clowns.

Une suite de collaboration entre Nanaboco et Théâtre en Folie est envisagée d’un commun accord sans être formalisée. Déjà, Junior a prévu de créer un vrai spectacle de clowns pour le mois de juin prochain, et je m’en réjouis, car ainsi ce qui a été transmis va continuer à germer. Junior et sa troupe vont s’approprier l’art du clown, j’espère que quelques vidéos me permettront d’en voir une partie. Des idées sont émises par le président de Nanaboco et Junior sur l’organisation d’activités artistiques et culturelles conjointes en faveur des enfants défavorisés des quartiers, le temps nous dira si ces projets pourront aboutir. Un immense merci à Junior pour son accueil et pour m’avoir ouvert les portes de son espace de travail.

D’ailleurs il me réserve une surprise pour le vendredi : une soirée publique sera organisée dans ce lieu de répétition, avec conteurs, humoristes, musiciens, performers, et je suis au programme si je le veux bien. C’était mon rêve personnel depuis le début, raconter avec des conteurs camerounais, il m’est servi sur un plateau.

Malheureusement, je n’en profiterai pas comme je le souhaitais. Depuis le jeudi soir, je suis fiévreuse et pas du tout en forme, comme si mon corps avait enregistré que mes activités devaient cesser à ce moment-là. Le vendredi, je passe le début de soirée au spectacle, je raconte quelques brefs contes, j’échange avec un conteur originaire de Centre-Afrique, j’écoute un humoriste, puis je dois partir. Nous sommes invités par des amis venus de Suisse. Et dans mon état de fatigue et de confusion, j’abandonne le lieu du spectacle, pour aller m’endormir sur le canapé des amis.

Jusque là je me motivais bravement pour mon retour en Suisse. Quitter le Cameroun et les activités déployées pour Nanaboco me paraissait difficile. Surtout qu’il y a tant de choses que j’aurais encore voulu faire ! Tant de choses à développer ! Mais un conte dit que tout arrive toujours pour le mieux, et ce fût le cas : malade, fiévreuse, nauséeuse, je n’ai plus d’appétit depuis quelques jours, toutes les odeurs me dégoûtent, les vomissements ne sont jamais loin. Dès le samedi je n’ai plus qu’une envie : fuir et rentrer chez moi en Suisse pour aller chez le médecin.

Le Cameroun, je m’y suis jetée, je l’ai mangé, mangé les nourritures sur le bord de la route, mangé la poussière de la saison sèche, je l’ai respiré, absorbé. Et il m’a engloutie, avalée, dévorée, me rejetant au bout de 3 mois. De retour en Suisse, les médecins du CHUV cherchent de tous les côtés, font des analyses, et finalement trouvent la source de cette grosse infection, par un germe que j’aurais pu attraper ici, donc rien d’exotique. Les antibiotiques en auront vite raison.

Au Cameroun, une des phrases les plus fréquentes est : on va faire comment ? on va supporter. Supporte ! il faut supporter.

Qu’est-ce que j’ai supporté que je ne pouvais plus souffrir ?

Les premières choses qui me viennent à l’esprit se bousculent dans ma tête fatiguée : les injustices, la violence sociale faite à la population, la corruption endémique, les conditions de vie qui sont faites aux gens, aucune infrastructure solide, l’insalubrité. J’ai vu et entendu tellement de situations révoltantes, sans pouvoir faire grand-chose ! Il m’est arrivé de pouvoir intervenir, mais tous les autres ? tous ces gens qui sont livrés à un sort difficile qui peut vite devenir douloureux ? tous ces gens qui marchent sous le soleil pour espérer vendre quelque chose, des mouchoirs en papier, des oranges, des ampoules, des vêtements usagés, tous ces petits métiers de la vente qui représentent une part importante de l’économie informelle, tout ça pour gagner quoi ? tous ces gens, adultes, anciens, enfants, qui courent pour gagner quelques francs CFA, à peine quelques centimes, le font-ils pour le fun ? non, bien sûr, ils sont dans la survie. Tellement de choses qui révoltent et révulsent, il fallait bien qu’à un moment mon estomac et tout mon corps se révulsent et se retournent eux aussi. Je n’ai pas supporté. Je ne suis pas camerounaise.

Pourtant un gros morceau de mon coeur est resté là-bas, il m’attend, tandis que je retrouve ici ma vie de privilégiée, avec un toit, l’eau chaude, et le reste. Heureusement il y a ici ma famille, mes amis, mes collègues, et tous ces gens à qui sourire ou de qui recevoir un sourire .

L’aventure est finie…. mais non ! Nanaboco continue au Cameroun, et je vais continuer à m’occuper de l’administration, des comptes et du reste. Ce que j’aime le moins, mais qui est vraiment nécessaire à la continuité de ce magnifique projet qui a pris forme et touché ses objectifs.

Il reste à faire le bilan objectif de ce séjour pour Nanaboco, cela fera l’objet d’un prochain article.

Il reste à dire encore merci. Merci à eux, à vous, à nous, merci à tous ceux qui m’ont protégée, merci au chauffeur de taxi qui a refusé que je paie la course, merci au chauffer de minibus qui m’a ouvert la route un soir dans les embouteillages, merci à tous ceux qui ne liront pas ce texte mais ont compté  pour moi, merci à la vie qui nous a réunis, ici et là-bas, autour de ce bel objectif : faire fleurir des sourires car c’est ce que nous avons de plus beau à offrir !